Programme de recherche

Le programme de recherche de la chaire est de nature transversale ; il couvre à la fois les aspects managériaux et macroéconomiques, que soulève un pilotage des organisations fondé sur la valorisation de l’immatériel.

La perspective managériale, au plan microéconomique

La R&D et les capacités d’innovation

La R&D et l’innovation constituent désormais des leviers essentiels de la performance des organisations. L’innovation en soi, n’est pas une problématique nouvelle, mais ce qui est nouveau, c’est son accélération, et sa généralisation à l’ensemble des organisations, y compris non marchandes. La question que nous nous posons ici est la suivante : quelles spécificités managériales doivent être définies, relativement au management et à la valorisation d’actifs immatériels, créés ou à créer dans le cadre de l’économie de la connaissance ? Quelle(s) incidences l’émergence des actifs immatériels est-elle susceptible de produire sur les conditions d’appropriation de la rente (Teece, 2000) par les entreprises et les organisations ? Quelles nouvelles conditions de la concurrence, les nouveaux modèles d’affaires sont-ils susceptibles de faire émerger ?

Les systèmes d’information

Selon les données récentes disponibles, les investissements en technologies de l’information et en processus organisationnels liés représentent la principale composante de l’investissement immatériel des économies complexes, (près de 45% du total soit 4,5% du PIB dans le cas des USA, pour un investissement total estimé à 1085 Mds de $ pour 2003), ce qui est considérable. C’est dire l’importance des montants alloués … et l’importance des attentes en termes d’impacts quant à la croissance du PIB, et à la création de valeur au niveau microéconomique.

C’est la raison pour laquelle le CIGREF s’est intéressé au sujet depuis 2000, l’a inscrit à son programme d’action CIGREF 2010, et a pris l’initiative de la création du Cercle de l’immatériel, un dispositif de benchlearning entre directions des systèmes d’information (DSI). Par ailleurs un dispositif méthodologique est déjà disponible, et un programme d’action est en préparation, notamment au niveau européen, dans le cadre de Euro-CIO (Bounfour, Epinette 2006 ; CIGREF 2006a, 2006b).

Mais l’importance des enjeux n’est pas seulement macroéconomique, elle est également microéconomique et concerne- comme l’a souligné la Commission Lévy-Jouyet- la grande transition dans les modèles de création de valeur, au cœur desquels se situe le capital immatériel. L’ubiquité de ce dernier appelle à une transformation radicale de nos modes de pensée et d’action. Nous pensons d’emblée aux SI, mais il convient également d’intégrer les autres ressources clés (R&D, marketing, formation, publicité…) et les intégrer dans une spirale dynamique : la spirale de l’immatériel.

Pour le DSI spécifiquement, les enjeux ne sont pas minces : ils appellent à une « revisite » fondamentale de son agenda de pensée et d’action. Par exemple, dans une économie dématérialisée, fonctionnant de plus en plus en constellation (Ramirez, 1999), il devient clair que la fonction du DSI devient de plus en plus celle d’un architecte d’intelligence, et de moins en moins celle de gestionnaire de capacités physiques. De même que la dématérialisation des organisations elles-mêmes appelle à une refonte complète des modes de travail et d’incitation. Enfin, dans ce même contexte, la problématique du reporting – y compris sur le capital immatériel des entreprises- se profile sous un jour nouveau, le DSI devant travailler de plus en plus en étroite liaison avec sa direction financière, et les autres fonctions opérationnelles ou de soutien.

Le capital structurel et les droits de propriété intellectuelle (brevets, marques, logiciels, image, réputation)

Le capital structurel, qui inclut les actifs immatériels autonomes (Bounfour, 2003), constitue un axe majeur d’action des entreprises. Il s’agit naturellement des actifs à marché secondaire immédiat (brevets, marques, logiciels standards), mais également de ceux non directement valorisables sur un tel marché (les méthodes et logiciels spécifiques par exemple). L’articulation entre ces ressources et celles à caractère davantage tacite- les capacités d’innovation de l’entreprise- a justifié l’émergence de pratiques managériales centrées sur la gestion de la connaissance. Au cœur de cette articulation se situe naturellement un renouvellement du cadre juridique des droits de propriété intellectuelle, et l’émergence de pratiques managériales nouvelles (par exemple celles relatives à la définition de nouveaux systèmes d’incitation à destination des collaborateurs de l’entreprise, dans un contexte de forte distanciation de la relation contractuelle). Les brevets, les marques, ainsi que les « actifs joints » – ceux par exemple produits dans le cadre de réseaux coopératifs et de communautés- doivent faire l’objet d’un renouvellement de leur perspective analytique, compte tenu des nouvelles conditions de concurrence, ainsi que de l’émergence de nouvelles pratiques extra-organisationnelles (par exemple celles centrées sur le copyleft).

Le capital humain

Il n’y a pas (encore) d’organisation sans hommes et femmes acteurs du processus de création de valeur. L’approche ici sera centrée sur les conditions de création et de valorisation du capital humain dans l’économie de l’immatériel. On intéressera notamment aux facteurs d’incitation, ainsi qu’aux éléments techniques de valorisation dudit capital (amortissement du capital humain ?).

Le reporting managérial et le pilotage des immatériels

La question du reporting est au cœur de la problématique des immatériels, les entreprises fortement dotées en de tels actifs souffrant davantage d’une asymétrie d’information de la part de leurs parties prenantes externes, en particulier de la part des marchés financiers (Lev, 2001). C’est la raison du développement d’un ensemble d’initiatives visant à forger un cadre méthodologique. Tel est le cas du rapport RICARDIS de la DG Recherche de la Commission européenne (European Commission, 2006). D’un point de vue analytique, les immatériels posent de retoutables problèmes au reporting, en raison de leur caractère combinatoire, souvent enraciné (« entangled »), volatile et risqué (Hand, Lev, 2003). D’où l’importance d’articuler dynamiquement un langage horizontal du reporting, à un langage vertical de la valeur – sa grammaire. L’introduction systématique de tests de dépréciation par les normes IFRS (IFRS 3, 36 et 38 notamment) illustre clairement le caractère instable des immatériels, et du coup l’importance d’aller au-delà des normes actuelles.

La gestion du patrimoine immatériel public

L’un des apports majeurs du rapport Lévy-Jouyet (2006) est d’initier une réflexion sur le patrimoine immatériel de l’Etat ; ce qui a justifié la création récente d’une Agence du Patrimoine Immatériel de l’Etat (APIE). Le fait de poser la question en ces termes est en soi une innovation. Le fait de créer une agence dédiée à la gestion de tels actifs en est une autre. En effet, le spectre hertzien, les ressources numériques et le patrimoine culturel constituent des éléments clés du patrimoine public. Les initiatives récentes prises par le Musée du Louvre autour de la valorisation de sa marque en constitue une excellente illustration. En tout état de cause, la gestion du patrimoine immatériel public appelle à l’émergence de nouvelles approches du management dudit patrimoine. D’où l’importance de la création en France d’un espace d’échange et de recherche autour de cette importante thématique.

La perspective sociétale : les systèmes socio-économiques

Plusieurs thèmes peuvent être considérés sous cette section. A beaucoup d’égards, ils constituent les pendants de ceux à développer au niveau microéconomique.

L’évaluation des nouvelles formes organisationnelles -réseaux, communautés, et groupes d’organisations sous différents régimes socio-économiques

Il s’agit là d’une question importante, insuffisamment considérée dans la littérature managériale sur les immatériels. Le capital organisationnel est maintenant considéré comme un problème pour les entreprises, mais cette questionnée est encore considérée dans une perspective étroite : la perspective de transaction, par exemple, comment le capital organisationnel peut aider les entreprises à améliorer la valeur créée, particulièrement sur les marchés financiers. Il convient cependant de considérer cette question de manière plus approfondie, en évaluant comment de nouvelles formes d’organisation peuvent être conçues sous différents régimes socio-économiques (la communauté par opposition à la transaction) et quels types de rapports peuvent être établis sous de tels régimes (Bounfour, 2005, 2006). Sous le régime de la transaction lui-même, de nouveaux instruments doivent encore être définis, par exemple, pour développer un reporting spécifique aux activités en réseaux. Sur un autre plan, comprendre comment des communautés ad hoc (telles que des Diaspora) valorisent leurs ressources immatérielles peut également être un thème stimulant pour la recherche.

La définition d’un statut pour les « actifs de reconnaissance »

Dans le prolongement des travaux philosophiques de Ricoeur, Honneth et d’autres, la reconnaissance peut être considérée comme une perspective importante à la compréhension de la dynamique des systèmes socioéconomiques. Partant delà, il est possible développer aujourd’hui une nouvelle vision des immatériels, – en particulier ceux produits aux frontières ou en dehors de l’organisation verticale classique, dans des réseaux ou des communautés. La dynamique des systèmes socio-économiques appelle donc à une revisite des types d’actifs créés, ou déployés dans ces nouveaux espaces. Les actifs de reconnaissance constituent certainement une composante clé.

La réévaluation des droits de propriété intellectuelle

La transformation en cours des formes d’organisation d’activités a naturellement un impact sur la question importante des DPI. Sous le régime de la transaction, ce sont fondamentalement des instruments conçus pour la génération de rentes exclusives. Mais quel devrait être leur statut sous le régime de la communauté ? Cette question doit être encore affinée afin d’examiner sa pertinence dans des circonstances spécifiques et pour des activités spécifiques. Nous avons tous en tête la perspective Linux. Quels types de principes devraient être appliqués pour d’autres activités : sous la contrainte du régime communautaire, par exemple. Des procédures de brevets doivent-elles être déployées au niveau de communautés plus ou moins organisées, en complément de ce qui est à l’œuvre de longue date dans le cadre d’entreprises verticales ? Quel est l’impact des différentes options ouvertes sur les capacités d’innovation au niveau global (au niveau national par exemple) ? Quel statut en particulier pour les actifs de reconnaissance du point de vue des droits de propriété intellectuelle ?

Les immatériels et la démographie

La question de la démographie est naturellement au cœur de la problématique du capital immatériel des entreprises et des organisations. Dans un contexte de vieillissement de la population, les modalités d’innovation, de création et de valorisation des actifs immatériels (la connaissance des anciens) est clairement posée. Il en est de même de celle de l’infrastructure en réseaux de communication et d’infrastructure nécessaire (le concept d’« ubiquitous network » au Japon (Kitamura, 2002)).

Les instruments de pilotage du capital immatériel des communautés (open source etc.)

Comment piloter les immatériels dans un contexte où les réseaux et la communauté émergent comme la forme d’organisation dominante ? Quels instruments de pilotage concevoir et développer pour les entreprises, les organisations publiques et les formes intermédiaires (régions, départements, pôles de compétitivité). Ce sont là des questions importantes tant pour la recherche que pour l’action. Comment par exemple les principes dominants dans la communauté « open source » peuvent-ils être exportés vers d’autres formes d’organisation communautaire, et quelle incidence sur le management des « actifs joints » ?

La politique de recherche & développement

La politique de recherche & développement dans sa forme classique (les dépenses de R&D et l’Agenda de Lisbonne) est naturellement interpellée par l’émergence des immatériels dans le champ de la décision publique et privée. La chaire vise notamment à clarifier ce point, en considérant les autres formes d’innovation non nécessairement prises en compte par les outils statistiques.

Références

  • Bounfour. A. (1998), Le Management des Ressources Immatérielles. Maîtriser les nouveaux leviers de l’avantage compétitif. Dunod, Paris.
  • Bounfour A. (2003), The Management of Intangibles, The Organization’s Most Valuable Assets. Routledge, Londres et NY.
  • Bounfour A. (2005), Modelling intangibles : Community regimes versus Transaction Regime, in Bounfour A. , Edvinsson . L. (eds.), Intellectual Capital for Communities, Nations, Regions and Cities. Elsevier-Butterworth-Heinemann, Burlington, MA.
  • Bounfour A. (2006) (sous la direction de), Capital immatériel, Connaissance et Performance. L’Harmattan, Paris.
  • Bounfour A. , Edvinsson, L. (eds) (2005), Intellectual Capital for Communities, Nations, Regions and Cities. Elsevier-Butterworth-Heinemann, Burlington, MA.
  • Bounfour.A., Epinette.G. (2006), Valeur et performance des SI, une nouvelle approche du capital immatériel de l’entreprise. Dunod.
  • CIGREF (2006a), DSI et capital immatériel. Maturité et mise en œuvre. (www.cigref.fr ).
  • CIGREF (2006b), Capital immaterial-7 jours pour comprendre (www.cigref.fr).
  • Corrado, C., Hulten, C., Sichel D. (2006), “The Contribution of Intangible Investments to US Economic Growth: A Source of Growth Analysis”, NBER Working Paper, n° 11948.
  • European Commission, DG Research (2006), Reporting Intellectual Capital to Augment Research, Development and Innovation in SMEs, Report to the Commission of the High Level Expert Group on RICARDIS. EUR 22095 EN. Bruxelles.
  • Hand J. , Lev B. (eds.) (2003), Intangible Assets: Values, Measures and Risks, Oxford University Press. Oxford.
  • Kitamura. M. (2002), Using Ubiquitous Networks to Create New Services Based on the Commercial and Public Infrastructure. Nomura Research Institute. NRI Papers, n° 54, September 1. Tokyo.
  • Lev, B. (2001), Intangibles: Management, Measurement and Reporting, The Brookings Institution Press.
  • Lévy . M. , Jouyet, J-P (2006), L’économie de l’immatériel, La croissance de demain, Rapport au Premier Ministre. Paris.
  • Nakamura, L. (2005). “Investing in Intangibles: Is a Trillion Dollars Missing From the Gross Domestic Product?” , in Bounfour A., Edvinsson . L. (Eds.) , Intellectual Capital for Communities, Nations, Regions and Cities, Elsevier Butterworth-Heinemann, Burlington, MA.
  • Ramirez. R. (1999), “Value co-production: Intellectual origins and implications for practice and research”, Strategic Management Journal, 20: 49-65.
  • Teece, D. (2000), Managing Intellectual Capital. Oxford University Press. Oxford.